lunes, 6 de febrero de 2012

Giselle : Correa - Carreno, un couple anthologique

Par Loïc le Duc


Photo : Erik Berg
Yolanda Correa, Yoël Carreno

« Giselle », à sa création en 1841 d'après un poème de Heinrich Heine, sur une musique d'Adolphe Adam et une chorégraphie de Jean Coralli, marque l'apogée du romantisme. A l'origine est la Grisi que le danseur Jules Perrot a ramené de Naples. Une conjonction de talents (Théophile Gautier, Vernoy de Saint-Georges, Coralli…) engendre un succès planétaire : entre 1841 et 1849, date de la fin du contrat de la Grisi avec l'Opéra, l'ouvrage est donné quatre vingt neuf fois. Dès 1842, le ballet est dansé à Vienne, Londres puis Saint-Petersbourg. 
Dans un village d'Allemagne, le prince Albrecht, dissimulé sous le nom de Loys, a séduit la jeune Giselle, qu'aime aussi Hilarion, le garde chasse. Surpris par l'arrivée de Bathilde, sa fiancée officielle, Albrecht ne peut empêcher la révélation de son identité réelle. Giselle en devient folle et meurt. Au second acte, Giselle a rejoint les Wilis, jeunes filles mortes avant leur mariage. Elles font danser à mort les hommes qu'elles surprennent. Hilarion, venu sur la tombe de Giselle, en est leur première victime. Sous les ordres de l'implacable Myrtha, elles auraient fait subir le même sort à Albrecht si Giselle ne l'avait défendu. Elle danse avec lui pour l'aider à survivre jusqu'aux premiers rayons du jour, qui le délivreront. Conçu pour mettre en valeur la ballerine, Giselle va s'imposer aussi grâce à son partenaire. Tant que des partenaires de qualité accompagnent la danseuse, ce ballet connaît une faveur soutenue et passe pour le parangon de la danse romantique. Mais celle-ci conduit à la disparition de la danse masculine… et petit à petit, en même temps que les danseurs perdent de leur importance, le succès de Giselle décline. En 1868, Giselle quitte le répertoire de l'Opéra. Il faudra attendre 1932 et Serge Lifar pour que l'ouvrage soit remonté. Il tient le rôle d'Albrecht et partage l'affiche avec Olga Spessivtseva, puis en 1941 avec Lycette Darsonval. Dès lors, le ballet ne quittera plus l'affiche, sans doute à cause de sa cohérence dramaturgie. C'est là que vont s'illustrer les plus grandes danseuses, de Pavlova à Chauviré, en passant par Oulanova, Fracci, Fonteyn ou Alonso. 
Photo : Erik Berg
Yolanda Correa, Yoël Carreno
Fragile et inspirée, la Giselle de Yolanda Correa est celle d'une enfant de quinze ans à peine, qui est en train d'éclore à la vie. Elle n'est que gaieté et joie de vivre. Sa Giselle est celle de la lumière de la jeunesse, fauchée avant l'heure. La ballerine cubaine incarne une héroïne d'une troublante sincérité, le visage toujours animé et expressif, vivant le mimodrame de manière fidèle, sachant en rendre naturelles et crédibles les conventions. La danse et la technique de l'Etoile frisent la perfection. La trahison est d'autant plus effroyable que Giselle/Yolanda Correa n'est que joie de vivre et pureté. Sa scène de la folie est un choc. Elle veut mourir, se réfugie dans les jupes de sa mère, il y a un refus de vie, un refus de lumière, un refus de tout, et quand les souvenirs émergent, ils viennent de très loin, par bribes : l'amour, le serment, la petite fleur, c'est un chaos effroyable, quelques petites phrases qui sont restées et puis le non, le refus ; tout à coup, elle bute dans l'épée, elle prend plaisir à effrayer ceux qui l'entourent, comme une enfant ; des visions lui apparaissent comme des comètes et ce merveilleux compte à rebours la mène au malaise qui la tue. Les qualités dramatiques de mademoiselle Correa se révèlent bouleversantes. 
Au second acte, la ballerine réussit avec brio ce grand exercice de style, extrêmement raffiné. Yolanda Correa devient une "absence envoûtante", le fruit de l'imagination d'Albrecht. Pâle, guidée sans pitié par Myrtha et éperdue d'amour, Yolanda Correa enchaîne les danses avec aisance et inspiration. La grâce de cette seconde partie serait amoindrie sans Yoël Carreno avec lequel elle forme un couple d'anthologie. Leur complicité et les qualités de partenaire du danseur expliquent le côté immatériel de leur composition. Il imagine voir Giselle dans ses bras et réalise brusquement qu'il n'a pas de sensations. Dans les décalés de la fin, Yoël Carreno non seulement transporte sa partenaire mais est d'une musicalité parfaite, la pose sur la note pour qu'elle ait toute sa résonance, de façon à créer cette illusion magique. Outre les portés d'une précision rêvée, le cubain enchaîne des variations et une coda brillante sans ostentation, avec la noblesse attendue du prince et d'une Etoile dans ce rôle. 
Photo : Erik Berg
Clair Constant danse Myrtha. Impériale, elle en a l'autorité. Sa technique est sans faille, avec des pointes de rêves, des sauts superbes et une danse ample. Si Kaloyan Boyadjiev nous propose un Hilarion de très belle facture, sa présence scénique devrait être plus "terrienne" et peut être moins noble. Le corps de ballet est parfait dans le premier acte, les alignements plus imprécis dans l'acte blanc. Les paysans du pas de deux sont, à l'opposé des rôles-titres, dépourvus de toute dimension psychologique et ne jouent aucun rôle véritable dans le déroulement de l'intrigue. Ils n'existent que comme projection des fantasmes de l'héroïne. Ce pas de deux doit nous charmer. Chaque mouvement qui le compose doit respirer le parfum de l'amour et du bonheur. Si Natasha Jones nous offre une belle danse à la technique sûre, Craig Lee Cathcart est plus en peine dans les variations de cet exercice. 
Cette Giselle qui nous est donnée à voir sur les bords du fjord d'Oslo, est une fête pour les sens. Un cadeau. Peut-on espérer qu'elle soit immortalisée par l'enregistrement d'un DVD ? Peut-on rêver que les deux artistes soient invités sur la scène de l'opéra Garnier lors d'une prochaine reprise de Giselle ? Croisons les doigts…

Giselle
Ballet national de Norvège. Représentation du 28 janvier 2012 (Première)
Chorégraphie : Jean Coralli and Jules Perrot
Mise en scène : Cynthia Harvey
Musique : Adolphe Adam
Scénographie et costumes: David Walker
Lumières : James F. Ingalls
Direction musicale : Terje Boye Hansen
Norwegian National Opera Orchestra







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